Introduction
De l’Afghanistan à la tour de Londres en Angleterre, le gros rubis du prince noir s’est frayé un chemin à travers le temps et les légendes. Malgré son nom, ce dernier est un spinelle rouge d’environ 170 ct qui appartient aux joyaux de la couronne du Royaume-Uni depuis son acquisition en 1367 par Édouard de Woodstock dit le Prince Noir pour l’armure noire qu’il portait sur les champs de bataille. C’est en 1569 durant le règne d’Elizabeth I qu’il sera renommé rubis du Prince noir en son honneur.
Le spinelle n'est pas taillé, serti sous sa forme brute d’octaèdre irrégulier aux bords arrondis mesurant 5 cm de long, avec une belle couleur rouge sang vif. La pierre entière possède un trou de forage dans un coin, révélant qu'elle a été utilisée comme perle à un moment donné. Un petit rubis véritable sert maintenant à boucher l'ouverture du trou de forage.
Le spinelle occupe aujourd’hui le devant de la couronne impériale d'apparat, fabriquée pour le couronnement de George VI en 1937 par le joaillier de la Couronne Garrard & Co. C'est la réplique exacte de la couronne impériale créée pour la reine Victoria en 1838, avec une monture plus légère et plus confortable. On peut admirer en exposition :a la tour de Londres.
Couronne d'appart exposée à la tour de Londres, zoom sur le rubis du Prince noir (spinelle de 170ct)
Source et début de l’imposture
Il est probable que la gemme vienne de Kuh-i-Lal, appartenant à la région des mines de Badakhchan (entre l’actuelle Tadjikistan et Afghanistan). Les mines de rubis/spinelles d'Afghanistan ont été mentionnées dans les écrits arabes de nombreux voyageurs depuis le Xe siceles. Ces pierres rouges confondu pour des rubis ont pris leur nom de cette region. Rubis balais vient de la déformation du nom de Badakhsan en Balakhsh puis Balas et enfin balais.
À la fin des années 1980, d'énormes spinelles translucides roses violacés mesurant plus de 20 cm ont été extraits dans les montagnes du Pamir au Tadjikistan et proche de la frontière chinoise. On ne sait pas si la mine qui a produit ces spécimens est la même que celle du Badakhshan puisqu’il n'existe pas de description gemmologiques des rubis ou des spinelles du Badakhshan, principalement parce qu'il n'existe aucun témoignage oculaire du XXe siècle sur ces mines et leur localisation. Les rubis afghans extraits de nos jours sont de petites tailles avec une couleur rosée et est majoritairement limitée aux mines de Jagdalek. dans la province de Kabul.en Afghanistan.
Principaux gisements de gemmes d'Asie centrale. On trouve du corindon à Sumjam (Inde), Hunza (Pakistan), Jegdalek (Afghanistan) et Gharan (Afghanistan/Tajikistan), ainsi que le long de la frontière entre la Chine et le Tadjikistan. (Carte : R.W. Hughes)
De la perse au prince noir
Il n’y a pas de record sur l’année de son extraction, ni sur les premiers propriétaires. La première mention historique de la gemme remonterait à 1362 lorsque Pierre Ier de Castille s’allie au prince Mohammed de Grenade et s'empare du trésor d’Abu Saïd, prince maure, émir nasride de Grenade après l’avoir abattu, dont trois rubis balas de la taille d’un œuf.
En 1366, Pierre Ier de Castille dit Pierre le Cruel, chassé d'Espagne, par son demi-frère Henri II. Il signe alors le traité de Libourne la même année avec Édouard de Woodstock dit le Prince Noir, et Charles le Mauvais, roi de Navarre. Ce traité stipule que le Prince Noir et le roi de Navarre doivent apporter une aide militaire et financière à Pierre le Cruel pour la reconquête de son trône contre des territoires et de l’argent. En 1367, Pierre le Cruel retrouve son trône, mais ne peut s’acquitter de sa dette. Il échange donc l'énorme « rubis » gros comme un œuf, au Prince Noir ce qui signera son entrée dans les joyaux de la monarchie britannique.
Entre blessure de guerre, vol et incendie
Pendant la Guerre de Cent Ans, Le rubis du Prince noir est décrit à la bataille d’Azincourt du 25 octobre 1415 sur le casque de l’armure dorée d’Henri V accompagné de perles et de pierres précieuses. Au cours de la bataille, le roi d'Angleterre est violemment frappé sur son heaume et échappe de peu à la mort. Un petit fragment du spinelle est cassé et perdu sur le champ de bataille. Un prisonnier français du nom de Gaucourt informe le roi qu'il sait où retrouver le fragment et souhaite échanger l'information contre sa libération. Ce dernier retrouve le fragment, mais ne sera jamais remis en libérer! Ce coup, fait naître la légende de la pierre protectrice et, dès lors, les souverains successifs de toutes les maisons font monter la pierre sur leurs couronnes respectives. Le 22 août 1485, c’est Richard III qui l'aurait arboré sur son heaume au cours de la bataille de Bosworth. Puis au début du 17e s, Jacques 1er fait sertir le rubis du Prince noir sur la couronne royale.
Entre 1653 et 1658, le rebelle Olivier Cromwell prend le pouvoir, instaure le Commonwealth d’Irlande, d’Angleterre et d’Écosse et Olivier Cromwell et ordonne la suppression des Joyaux de la Couronne : une partie est vendue, l’autre détruite. La trace de la gemme est perdue jusqu’en 1660, le spinelle est acheté par un inconnu, qui le revend à Charles II après la restauration des Stuart, la ramenant à nouveau sur la couronne des rois britanniques. Son repos ne le l’est pas tant puisque, la gemme échappe de peu successivement à la spectaculaire tentative de vol des joyaux par le colonel Blood en 1671, à l'incendie de la tour de Londres de 1841 et aux raids allemands durant la seconde guerre mondiale.
Il cependant important de noter que bien que cette histoire a été mainte fois compté le lien avec le Prince Noir n'a été suggéré que dans les années 1760, sur la base d'une identification non corroborée, et plus tard contestée, de la gemme dans un portrait.
Qu’il est ou non, bien appartenu au myhtique prince noir, il existe néanmoins de nombreuses traces écrites des rubis balas des joyaux espagnols inscrite dans les registres des joyaux de la couronne anglaise depuis 1377 lors de leur évaluation. Le coup porté à la gemme lors de la bataille de Azincourt a ensuite permis une traçabilité plus facile. Son parcours est tracé avec certitude depuis 1660 et son retour le trésor royal.
Portrait pour le couronnement de la reine Victoria par George Hayter (détail), portant la nouvelle couronne d'État impériale fabriquée pour elle par les joailliers de la Couronne Rundell and Bridge, ornée de 3093 pierres précieuses, avec le rubis du Prince noir sur le devant.
Imposture levée et autres Rubis balas célèbres
Les rubis et les spinelles sont minéralogiquement très proche (respectivement Al2O3 et MgAl2O4), en plus d’une couleur très similaire ils se trouvent généralement dans les mêmes gisements. De ce fait, ces deux types de gemmes rouges ont longtemps été confondues et appelées rubis. Cette erreur d'identification s'est poursuivie jusqu'à la seconde moitié du18e siècle et c’est en 1783 que le minéralogiste français Louis Rom de Lisle a identifié le spinelle comme un minéral distinct du rubis. A la suite de son analyse de nombreux `rubis` des joyaux des monarques européens et russes ont été identifié comme spinelle.
Parmi les plus beaux spécimens on peut citer le Rubis de La Grande Catherine serti en 1762 dans la couronne impériale russe (398 ct) et identifié comme un spinelle en 1783 par Louis Rom de Lisle. Le Rubis Timur (352,5 ct) serti en 1849 dans un collier pour la Reine Victoria et identifié comme un spinelle en 1851.
En Asie on retrouve, le spinelle Samarian (500 ct), plus gros spinelle connu à ce jour, ayant appartenu à Jehangir, l'empereur moghol de l'Inde, ca 1650s, et aujourd’hui dans le Trésor de la couronne Iranienne. Le Collier Impérial Moghol avec 11 spinelles pour un total de 1131 ct vendu chez Christie’s en 2011 pour 5 millions $.
(1) Le Rubis de La Grande Catherine serti en 1762 dans la couronne impériale russe (398 ct)
(2) Le Rubis Timur (352,5 ct) serti en 1849 dans un collier pour la Reine Victoria
(3) Le spinelle Samarian (500 ct), dans le Trésor de la couronne Iranienne
(4) Le Collier Impérial Moghol avec 11 spinelles pour un total de 1131 ct
Longtemps confondu pour du rubis, le spinelle brille aujourd’hui pour lui-même, gagnant en popularité depuis le début des années 2000.
Article rédigé par Lucille Daver pour le magazine canadien Jewellery Business :
Références
Afzali, H., 1981. Les resources d'hydrocarbures, de métaux et de substances utiles de l'Afghanistan: aperçu générál. Chronique de la Recherche Minière, No. 460, 29-49, RWHL*.
Blair, C. (1998). The Crown Jewels: the history of the coronation regalia in the Jewel House of the Tower of London. Stationery Office.
Hughes, R. W. (1994). The rubies and spinels of Afghanistan: A brief history. Journal of Gemmology, 24(4), 256-267.
Hughes, R. W., Manorotkul, W., & Hughes, E. B. (2017). Ruby & sapphire: A gemologist's guide. RWH Publishing.
Ogden, J. M. (2020). The Black Prince’s Ruby: Investigating the Legend. Journal of Gemmology, 37(4).
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